Faits d’Hiver 2020 : aventures chorégraphiques dans le Marais
L’année chorégraphique parisienne trace le cours des saisons et renouvelle les plaisirs, année par année. Le Festival d’Automne tout juste terminé, la danse enchaîne, naturellement, avec Faits d’Hiver : dix-sept spectacles, dont douze créations dans douze lieux, pour parler de manifs, de féminisme, de sacré, de luttes indigènes, des fantômes qui nous habitent. Entre autres…
Christophe Martin, qui a fondé Faits d’Hiver il y a 22 ans, n’insiste plus sur l’ancienneté. Il n’en a plus besoin. Par ailleurs, le rôle du festival a changé. Aujourd’hui, Faits d’Hiver est un véritable tour-opérateur dans le paysage chorégraphique, vous invitant, plus que jamais, à explorer le Marais parisien, de fait le fief historique du festival. Où l’on peut faire des découvertes improbables tout en retrouvant la danse dans les lieux très institutionnels. Mais on peut – et il faut – aussi le suivre dans le XIVe arrondissement et au-delà du périph, dans le sud, dans l’est ou dans l’ouest de la capitale.
De grands noms, mais confidentiels
On le sait, Christophe Martin met toujours le curseur sur l’écriture chorégraphique. C’est à dire qu’il entend se porter garant d’une qualité du mouvement et de la pensée structurante, dans la meilleure tradition de la nouvelle danse française dans toutes ses ramifications, y inclus les plus actuelles. C’est pourquoi il nous présente quelques chorégraphes qui ont écrit des pages passionnantes de l’almanach chorégraphique français, comme Jean Gaudin ou Bernardo Montet, ancien directeur du Centre Chorégraphique National de Tours, avec de nouvelles créations.
Montet ouvre et clôt cette 22e édition. Une pièce pour trois femmes marque le début. Où il est question de la lutte des indigènes au Brésil et de politique, mais surtout d’énergie et d’amour : Mon Âme pour un baiser. Pour la soirée de clôture, le 8 février, Montet est invité à orchestrer une soirée selon ses inspirations, avec les interprètes de son choix, et comme Montet est un grand voyageur entre les cultures de la planète, il y fera danser un bel échantillon de l’humanité, surtout africain pour l’occasion, sous le générique d’une Carte blanche noire.
Danses, paroles et facéties
On peut ensuite citer un autre grand monsieur de la danse française. Georges Appaix vient de Marseille où il cultive un humour chorégraphique empreint de légèreté et de jeu avec la parole, le son et les lettres de l’alphabet. Avec XYZ ou comment parvenir à ses fins, il fait ses adieux à la scène. Son esprit méridional et loufoque nous manquera, c’est certain. Il faut aller le voir pour cette ultime occasion de savourer un rire chorégraphique de grande finesse.
Quant à Jean Gaudin, il s’agit d’un grand poète de la danse. Il se met ici au service d’une autre figure importante de la danse française, à savoir la chorégraphe Nathalie Pubellier, dans un solo mis en scène par Benoist Brumer, homme de théâtre et metteur en scène d’opéra. Non, pas toi ! s’annonce comme un voyage à travers les souvenirs d’artiste(s) de la scène, “du Paradis Latin au cinéma, du théâtre à l’opéra…”.
Faits d’Hiver est fidèle à une rangée de chorégraphes qui ne sont pas connus du grand public, mais comptent énormément grâce à des propositions moins mainstream et pourtant poétiques, loufoques, engagées… Comme Daniel Linehan, Américain travaillant à Bruxelles, ou la Genevoise Cindy Van Acker. Tous les deux sont connus pour leurs écritures ciselées et poétiques, tous les deux travaillent dans leurs nouvelles pièces sur les sensations, les émotions et les relations intrinsèques, pour donner à ressentir ce que l’on ne voit pas. Dans sspeciess, Linehan cherche la symbiose la plus profonde entre le corps, le souffle et le son, produit sur scène par le musicien et performer Michael Schmid. Van Acker dédie sa création Speechless Voices au compositeur Mika Vainio et surtout à son absence, suite à un décès abrupte.
Objets chorégraphiques non identifiés
Un autre volet de Faits d’Hiver est consacré à de véritables ovnis chorégraphiques. En voici quelques-uns, sans pouvoir en faire le tour. La danseuse Lotus Eddé Khouri et le sculpteur Christophe Macé vont créer un nouveau duo, comme à leur habitude sur des musiques populaires remixées et des boucles gestuelles, cette fois en résonance avec Le Socle, une sculpture contemporaine, face à l’église Saint-Merry. En extérieur donc, en plein hiver… Il faut le faire ! La Japonaise Yumi Fujitani va investir le même lieu, avec une performance sur le rouge et certains archétypes féminins du sacré. Du chaud-froid qui n’a pas froid aux yeux. Frissons garantis…
Non loin de là, dans la chaleur du Centre Culturel Suisse, on pourra découvrir le Hate Me, Tender de Teresa Vittucci, qui a reçu le Prix Suisse de la Danse 2019, un solo consacré à la Vierge Marie, sacrilège iconoclaste conçu pour mettre en branle tous les stéréotypes sur la femme et sa pureté, son dévouement et son innocence, à la recherche d’un “féminisme du futur”. On s’attend tout autant à des surprises avec Sarah Crépin et Étienne Cuppens. Dans leur nouveau duo, pourtant intitulé Solo OO, l’univers des films japonais de samouraïs des années 1950 se transforme en manga chorégraphique, traversé par d’autres chapitres de l’histoire de l’art.
“Ce n’est pas la rue qui gouverne…” ? Elle chorégraphie !
Thomas Chopin de tirer un spectacle entre danse et théâtre (ou autre chose, qui sait…) de ses immersions, fréquentes et très observatrices, dans les manifestations de ces dernières années, pour mieux saisir ce qui s’y révèle “de profondément personnel et humain”. Manifestant, comment vas-tu ?
Et il y a Nach, qui a rencontré la danse dans la rue, sous forme de krump, cette expression explosive et plutôt tendue, pour en faire un langage sensible. On a découvert son talent avec son premier solo, Cellule, et elle revient ici à cette forme, en sortant d’une résidence au Japon. Du krump donc, mais d’abord sous influence contemporaine et ensuite japonaise, notamment avec une création musicale de Koki Nakano. Avec Beloved Shadows, Nach continue sur sa voie qui lie les styles et les langages dansés à la recherche de vérité.
Thomas Hahn
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